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Les commanditaires et les constructeurs de la Maison de fer de Poissy — Deuxième partie : le concepteur et le constructeur

par | 27 octo­bre 2020 | His­toire, Pois­sy

Les tôles car­ac­téris­tiques des maisons Dan­ly (pho­to MK) 

Lire la pre­mière par­tie : les pro­prié­taires suc­ces­sifs de la maison.

Cette mai­son métallique récem­ment recon­stru­ite, avec une ossa­t­ure de béton, dans le Parc Meis­sonier de la ville de Pois­sy, où elle avait été édi­fiée en 1889, est-elle une con­struc­tion française, résul­tant du savoir-faire de Gus­tave Eif­fel comme cela a été, longtemps, affir­mé ? Cet arti­cle présente l’ingénieur belge qui était l’inventeur du procédé de con­struc­tion et le dirigeant de la société française qui a pro­duit les élé­ments con­sti­tu­tifs ; celui-ci était, vraisem­blable­ment, belge égale­ment. Toute­fois comme pour les matériels fer­rovi­aires que con­stru­i­saient, à l’origine, leurs sociétés, en met­tant en œuvre toute la chaîne de façon­nage de tôles d’acier, c’est en Angleterre que se trou­vait l’origine des maisons de fer.

Le mythe Eiffel

Quel est le lien entre la Mai­son de fer de Pois­sy et d’autres bâti­ments métalliques de divers­es régions du monde, en par­ti­c­uli­er « La Casa de Fer­ro », bâtie en 1892 à Maputo au Mozam­bique, et « La Casa de fier­ro » d’Iquitos au Pérou ? Con­cer­nant ce dernier édi­fice, la Société de la Tour Eif­fel a démen­ti que le bâtis­seur de la tour ait été à son orig­ine. Elle a pub­lié, sur son site Inter­net, un car­net issu des recherch­es et des relevés effec­tués par deux chercheuses(1). Elles y décrivent les nom­breuses con­struc­tions métalliques que Gus­tave Eif­fel a réal­isées en Amérique latine. Elles recon­nais­sent que « La Casa de fier­ro » a été bâtie, comme les vil­las en tôles d’acier de Pois­sy, de Mor­gat et d’Arcachon, selon le procédé Danly.

Il est vraisem­blable que les maisons de fer de Pois­sy, de Mor­gat et d’Iquitos ont été com­mandées lors de l’Exposition uni­verselle de 1889, où plusieurs con­struc­tions avaient été réal­isées selon le sys­tème Dan­ly. L’exposition se tenait sur le Champ de Mars autour de la Tour de 300 mètres (c’était son nom à l’époque). C’est le seul lien entre le con­struc­teur de la tour, qui a été inau­gurée à cette occa­sion, et les maisons en tôles d’acier embouties !

Dans un arti­cle du jour­nal Le Monde sur la mai­son de fer de Maputo(2), Philippe Coupérie-Eif­fel, prési­dent de l’Association des Amis de Gus­tave Eif­fel, a expliqué pourquoi de nom­breux bâti­ments ont été attribués à son arrière-arrière-grand-père : « Que voulez-vous, c’est le mythe Eif­fel ! La notoriété et l’empreinte de mon aïeul sont telles qu’elles ont depuis longtemps dépassé sa pro­pre œuvre, pour­tant déjà très pro­lifique… ».

Joseph Dan­ly, qui est, aujourd’hui, recon­nu comme le con­struc­teur de ces bâti­ments, avait, notam­ment, dans le cadre de l’exposition, con­stru­it le Théâtre des Folies parisi­ennes à prox­im­ité de la tour, entière­ment métallique comme elle. Il a, longtemps, été sup­posé que des élé­ments de la Mai­son de fer de Pois­sy prove­naient de ce théâtre ou d’un pavil­lon de l’exposition.

La façade du Théâtre des Folies parisiennes

Toute­fois selon l’ingénieur belge Marc Bra­ham(3), his­to­rien de la con­struc­tion, l’origine des maisons en fer ne se trou­ve pas en Bel­gique ou en France mais en Angleterre vers 1840 : les  portable colo­nial cot­tages, prin­ci­pale­ment des­tinés à l’Australie. Son récent arti­cle men­tionne divers précurseurs français et présente, par­ti­c­ulière­ment, deux con­struc­teurs dont Isidore de Schrijver.

Le concepteur, Joseph Danly 

Un arti­cle pub­lié sur un site Inter­net relatif aux maisons métalliques français­es(4), géré par l’expert belge, nous fait con­naître cet ingénieur qui était son com­pa­tri­ote : il était né à Marcinelle, en 1839. Après avoir obtenu son diplôme d’ingénieur civ­il des mines de l’université de Liège,  il a acheté en 1863, avec son frère Louis, ban­quier, une forge située à Aiseau, près de Charleroi ; ils l’ont dévelop­pée, fab­ri­quant prin­ci­pale­ment des matériels fer­rovi­aires. Joseph Dan­ly a mis à prof­it le tra­vail de la tôle dans ses ate­liers d’emboutissage, de chau­dron­ner­ie et de gal­vani­sa­tion lorsqu’après le décès de son frère il a voulu lancer de nou­velles activ­ités. Son pre­mier brevet, délivré en Bel­gique, en juil­let 1885, était inti­t­ulé La con­struc­tion de bâti­ments en tôles embouties. Il y a décrit ain­si les principes : « Mon inven­tion con­siste à con­stru­ire des bâti­ments métalliques à sim­ples et à dou­bles parois com­posés essen­tielle­ment de pan­neaux en tôles de fer et d’aci­er de faible épais­seur, embouties sous les formes des plus grandes résis­tances con­cour­ant en même temps à l’orne­men­ta­tion et dont les con­tours sont sem­blables à ceux des faces appar­entes des divers élé­ments con­sti­tu­tif des con­struc­tions en pier­res de tailles, tels que pare­ments, pilas­tres, lin­teaux, archi­trav­es, vous­soirs. »

Joseph Dan­ly a con­sti­tué alors la Société anonyme des Forges d’Aiseau. A l’occasion de l’exposition uni­verselle d’Anvers en 1885, cette société a par­ticipé à un con­cours de la Croix-Rouge pour la réal­i­sa­tion de baraques d’ambulance mobiles. L’inventeur a pro­posé son sys­tème, qui avait fait l’objet du brevet : des tôles de fer, aux bor­ds repliés à 90 degrés, assem­blées sans ossa­t­ure. Toute­fois, ces « boîtes en métal » ne pou­vaient pas être employées pour de grandes con­struc­tions, telles que des maisons à plusieurs niveaux. En 1887, il a déposé un brevet de per­fec­tion­nement, décrivant une ossa­t­ure ; ce brevet belge a été, peu après, com­plété, en France par un « brevet d’invention » iden­tique. Celui-ci a été exploité par les Forges et Fonderies d’Haut­mont (Nord), qui avaient acquis une licence de fab­ri­ca­tion pour la France et les colonies. Après le décès de Joseph Dan­ly, en 1899, son fils Albert Marie Joseph Dan­ly, né en 1867 à Aiseau, a pour­suivi les activ­ités de l’usine.

Le procédé a été détail­lé, en 1888, dans un arti­cle d’une revue tech­nique du domaine de la con­struc­tion(5), illus­tré par dif­férents plans d’assemblage, tel que celui de l’image ci-après.

Tech­nique d’as­sem­blage du sys­tème Danly

De très nom­breux bâti­ments ont été con­stru­its, dans le monde entier, notam­ment an Amérique latine et à Suma­tra, à par­tir d’éléments fab­riqués selon cette méth­ode ; c’est, bien évidem­ment, au Con­go belge qu’ils ont été les plus nom­breux. Un arti­cle d’une revue pub­liée en 1886(6) van­tait les qual­ités de ces con­struc­tions en tôles embouties : « La Société anonyme des forges d’Aiseau vient d’établir divers­es con­struc­tions métalliques d’une cer­taine impor­tance des­tinées à l’Amérique du Sud. Ces bâti­ments n’ont rien de l’aspect raide, monot­o­ne et froid qu’évoque naturelle­ment à l’esprit l’idée des con­struc­tions en fer. La tôle, élé­ment essen­tiel de ces con­struc­tions, assou­plie sous l’action de puis­sants moyens mécaniques, y revêt les formes les plus var­iées de l’architecture. Elles se com­posent prin­ci­pale­ment de pan­neaux en tôles minces embouties sous des formes à la fois élé­gantes et de très grande résis­tance appareil­lés, comme les pier­res de taille d’un édi­fice, et assem­blés entre eux, très solide­ment, par des moyens qu’il ne nous est guère pos­si­ble de décrire, mais qui, à l’examen, parais­sent à la fois sim­ples et pra­tiques. La dis­po­si­tion de ces pan­neaux pro­duit, aus­si bien à l’intérieur qu’à l’extérieur des bâti­ments, une orne­men­ta­tion naturelle par­faite­ment suff­isante. Il faut réelle­ment avoir vu ces con­struc­tions pour se ren­dre compte de l’effet agréable qu’elles pro­duisent à l’œil, de leur solid­ité et de leur con­fort. Sous ce rap­port, tous les murs, cloi­sons, etc., voire même les toi­tures, sont à dou­bles parois, séparées par un mate­las d’air et isolées par des élé­ments mau­vais con­duc­teurs de la chaleur. Des dis­po­si­tions très sérieuse­ment étudiées per­me­t­tent aus­si de com­bat­tre effi­cace­ment les influ­ences cli­matériques, ce qui a été jusqu’ici un des grands écueils des con­struc­tions métalliques. Si nous ajou­tons que le poids de ces bâti­ments est réduit à des pro­por­tions éton­nantes, que leur sta­bil­ité ne laisse rien à désir­er, que des con­struc­tions impor­tantes de l’espèce peu­vent être édi­fiées et démon­tées en quelques jours par des ouvri­ers quel­con­ques et qu’enfin leur prix n’est pas plus élevé que celui des con­struc­tions en bois ou en maçon­ner­ie les plus économiques, nous en aurons dit suff­isam­ment pour mon­tr­er qu’il pour­rait y avoir là la solu­tion d’un vieux prob­lème depuis longtemps cher­chée et qui est sus­cep­ti­ble d’applications nom­breuses, notam­ment à cer­taines instal­la­tions de chemins de fer, tramways, etc., à des hôpi­taux, à des con­struc­tions indus­trielles, voire même à des instal­la­tions de vil­las, etc. »

Le con­struc­teur, Isidore de Schrijver

La société nom­mée « Ate­liers de Con­struc­tion, Forges et Fonderies d’Hautmont » a été fondée par Isidore de Schri­jver à par­tir d’ateliers de con­struc­tion por­tant son nom ; il les avait étab­lis en 1853 à Haut­mont, dans le can­ton de Maubeuge (Départe­ment du Nord). Ils étaient spé­cial­isés, de même que les Forges d’Aiseau, dans la con­struc­tion de matériels fer­rovi­aires. Comme cette société belge, les ate­liers d’Hautmont maîtri­saient tous les procédés de fab­ri­ca­tion des pan­neaux du sys­tème Dan­ly : chau­dron­ner­ie, forge, emboutis­sage, traçage, ajustage, gal­vani­sa­tion et ondulation.

Les Forges d’Haut­mont

Toute­fois, les tôles étaient, sem­ble-t-il, pro­duites par l’usine voi­sine, à Haut­mont, de la société belge « Laminoirs, hauts Fourneaux, Forges, Fonderies et Usines de la Providence ».

Alors que les pan­neaux de la Mai­son de fer de Pois­sy ont été fab­riqués par une société française, son dirigeant avait, vraisem­blable­ment, la nation­al­ité belge comme Joseph Danly.

Des maisons très confortables

Un arti­cle d’une revue tech­nique de génie civ­il(7), pub­lié en 1893,  a décrit les avan­tages des récentes amélio­ra­tions apportées par les  ate­liers de con­struc­tion d’Hautmont, notam­ment les murs à dou­ble paroi. Au-delà des car­ac­téris­tiques tech­niques et de la solid­ité des bâti­ments, plusieurs aspects con­cer­nant leur hab­it­abil­ité ont été notés : « Ces con­struc­tions étaient donc rel­a­tive­ment lour­des et coû­teuses, froides en hiv­er et chaudes en été; leur aspect était tou­jours peu archi­tec­tur­al. C’est pour ces motifs que leur usage est demeuré fort limité.

Le nou­veau sys­tème de con­struc­tions […] procède d’une idée com­plète­ment dif­férente, qui sup­prime tous ces incon­vénients : en effet, tous les élé­ments qui entrent dans la com­po­si­tion d’un tel bâti­ment, con­courent actuelle­ment à sa solid­ité générale, ce qui a pour con­séquence de dimin­uer le poids autant que pos­si­ble et de réduire, par suite, la dépense. En même temps, on arrive à ren­dre les apparte­ments entière­ment indépen­dants des vari­a­tions de tem­péra­ture
extérieures, et l’on donne aux tôles des formes déco­ra­tives et archi­tec­turales con­ven­ables. »

L’a­mé­na­ge­ment inté­rieur d’une mai­son bâtie selon le sys­tème Danly

D’autres avan­tages pour le con­fort des habi­tants sont illus­trés par cette pho­to : « La pein­ture des pan­neaux emboutis per­met d’obtenir, à peu de frais, les effets les plus var­iés. […] La fix­a­tion au mur des objets d’ameuble­ment, tels que rideaux, tableaux, con­soles, etc., se fait sans aucune dif­fi­culté, au moyen de quelques attach­es spé­ciales très sim­ples, et qui sont beau­coup plus solides et plus com­modes que celles que l’on obtient en enfonçant des clous dans la maçon­ner­ie. […] Ajou­tons enfin que les murs, étant creux, se prê­tent on ne peut mieux à l’in­stal­la­tion des tuyaux pour chauffage, fils élec­triques, tuyaux acous­tiques, armoires ven­tilées, etc. […] ces maisons sont com­plète­ment à l’abri de la foudre (d’après un principe de physique bien con­nu), ain­si que de l’in­cendie. La ven­ti­la­tion des cham­bres se fait très sim­ple­ment, en les met­tant en com­mu­ni­ca­tion (par des reg­istres mobiles com­plète­ment dis­simulés) avec les murs creux, qui aboutis­sent eux-mêmes à des ven­ti­la­teurs placés sur le toit et dont on règle à volon­té l’ac­tion. Cette ven­ti­la­tion peut être con­tin­ue, sans incon­vénients, même la nuit. »

D’autres amélio­ra­tions ont été apportées, lors de la recon­struc­tion de la Mai­son de fer de Pois­sy, afin de respecter les normes du XXIe siè­cle et d’en faire un étab­lisse­ment accueil­lant du pub­lic, témoin d’une orig­i­nale tech­nique de con­struc­tion et lieu de présen­ta­tion du pat­ri­moine de la cité pisciacaise.

 

Sources et références

1. Eif­fel en Amérique du Sud-Mythes et his­toires, Car­o­line Chau­v­el et Elsa Durand (http://www.societetoureiffel.com/fondationSTE/fondation//histoires-eiffel-final.pdf)

2. Au Mozam­bique, la mys­térieuse mai­son de fer attribuée à Gus­tave Eif­fel, Anne-Lise Car­lo, site Inter­net du quo­ti­di­en Le Monde, 9/8/2019 (https://www.lemonde.fr/m‑styles/article/2019/08/09/au-mozambique-la-mysterieuse-maison-de-fer-attribuee-a-gustave-eiffel_5498126_4497319.html)

3. Les maisons en fer françaises–deux con­struc­teurs éclairés, Marc Bra­ham, La Gazette du Pat­ri­moine, févri­er 20204.

4. Joseph Dan­ly (1839- 1899), M. Bra­ham, R. Le Roux­et G. Car­ré, avril 2015 (http://www.maisons-metalliques-francaises.org/sites/default/files/pdf/Joseph%20Danly.pdf)

5. Con­struc­tions en tôle d’acier emboutie et gal­vanisée Sys­tème Dan­ly, E. Cadi­at, Nou­velles annales de la con­struc­tion, n°405, sep­tem­bre 1888 (con­sulté sur Gallica)

6. Bâti­ments en tôles embouties, Denis Blaizot, La Nature n°682, 26 juin 1886

7. Les habi­ta­tions métalliques sys­tème Dan­ly, André Vau­thi­er, Le Génie civ­il (revue générale des indus­tries français­es et étrangères), 28 octo­bre 1893 (con­sulté sur Gallica)

 

 

 

 

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