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Quand la réalité surpasse la satire

par | 27 février 2024 | Com­mu­ni­qués, His­toire

L’his­toire retien­dra le nom de Julien Assange comme LE défen­seur de la liber­té d’ex­pres­sion et de la presse du XXe siècle. (DR)

Coin­cé entre la Grande Guerre et l’épanouissement des fas­cismes en Europe, Karl Kraus s’avouait bat­tu par le défer­le­ment de sau­va­ge­rie et de bêtise : celui-ci défor­mait tant la réa­li­té qu’il cou­pait l’herbe sous le pied du sati­riste. Dans cette défor­ma­tion, le rôle titre était déjà tenu par la presse.
Sur la mobi­li­sa­tion pour Julian Assange, voir ici 

Un siècle plus tard, les guerres sont peut-être moins “grandes”, mais sau­va­ge­rie et bêtise asso­ciées se défendent bien. Cer­taines choses ont tou­te­fois chan­gé : les plus en vue de nos fas­cistes et cryp­to-fas­cistes n’ont pas seule­ment tro­qué le brun contre le bleu-blanc-rouge et la vareuse contre le cos­tume-cra­vate, la plu­part bran­dissent une varia­tion ou une autre de “libé­ra­lisme”. 

Peu de mots se sont sans doute autant éloi­gnés de leur éty­mo­lo­gie ori­gi­nelle. Qu’y reste-il en effet de l’emprunt au latin liber, “libre”, qui a don­né libe­ra­lis, “rela­tif à une per­sonne de condi­tion libre” d’où “bien­fai­sant, géné­reux” ? En atten­dant la réponse d’un lin­guiste, on voit bien qu’il ne reste rien de tout ça dans le régime néo­li­bé­ral à l’œuvre en France depuis les années 1980. Et qu’en Macro­nie, sans avoir pour autant aban­don­né la ban­nière “libé­ral”, on gou­verne désor­mais offi­ciel­le­ment avec les idées, sinon les élus d’extrême droite.

Il n’est pas sûr qu’on puisse par­ler de pro­grès lorsqu’une bou­che­rie mon­diale et l’Allemagne nazie ne sont plus néces­saires pour qu’un défer­le­ment de sau­va­ge­rie et de bêtise déforme la réa­li­té au point de cou­per l’herbe sous le pied de toute satire. Si on fait désor­mais plus avec moins, il faut attri­buer cette éco­no­mie à la place prise par les médias dans l’organisation de la fabrique de l’opinion.

Quelque temps avant qu’une alliance d’États “libé­raux” ne le musèle, Julian Assange avait don­né une inter­view où il décla­rait : “Presque chaque guerre qui a débu­té au cours de ces cin­quante der­nières années a été le résul­tat de men­songes média­ti­sés. Les médias les auraient arrê­tées s’ils avaient fait des recherches plu­tôt que de relayer la pro­pa­gande gou­ver­ne­men­tale. Ce qui signi­fie que, fon­da­men­ta­le­ment, les popu­la­tions n’aiment pas les guerres, et que les pre­mières doivent être mani­pu­lées pour accep­ter les secondes. Les popu­la­tions n’acceptant pas aveu­gle­ment d’entrer en guerre, si nous avions un bon envi­ron­ne­ment média­tique, nous aurions un envi­ron­ne­ment paci­fique. Notre enne­mi numé­ro un est l’ignorance. C’est l’ennemi numé­ro un de tout un cha­cun : ne pas com­prendre ce qu’il se passe réel­le­ment. Car c’est seule­ment quand on com­mence à com­prendre qu’on peut prendre de bonnes déci­sions. La ques­tion est : qui pro­meut l’ignorance ? Les orga­ni­sa­tions qui, pour gar­der des secrets, déforment les infor­ma­tions. Et dans cette caté­go­rie, on trouve les mau­vais médias. Il y a bien sûr de très bons jour­na­listes, et Wiki­Leaks tra­vaille avec beau­coup d’entre eux, ain­si qu’avec de bonnes orga­ni­sa­tions média­tiques. Mais la majo­ri­té sont si mau­vais et déforment tant la réa­li­té du monde dans lequel nous vivons que le résul­tat est une conti­nui­té de guerres et de gou­ver­ne­ments cor­rom­pus. On doit donc se deman­der si le monde ne serait pas meilleur sans eux.”

C’est évi­dem­ment une conclu­sion à laquelle était arri­vé Kraus voi­là un siècle, plus ou moins. Et il n’eut jamais de mots assez durs sur la res­pon­sa­bi­li­té de la presse dans la mani­pu­la­tion par le dis­cours et la cor­rup­tion de la langue, signe de la cor­rup­tion de la pen­sée et du sen­ti­ment.

Plus près d’Assange, mais en réponse à la même agres­sion per­ma­nente du flux média­tique, on trouve ces mêmes ana­lyses et conclu­sions chez Noam Chom­sky (La Fabri­ca­tion du consen­te­ment et Serge Hali­mi et alli (L’opinion, ça se tra­vaille).

Semaine der­nière, pen­dant au moins qua­rante-huit heures, la plu­part des médias mains­tream ont racon­té la triste his­toire de Julian Assange. Dans l’attente de la déci­sion par la jus­tice bri­tan­nique de son extra­di­tion, il fai­sait l’actualité. Ces médias ont-ils déro­gé aux habi­tudes déjà bro­car­dées par Kraus : “Rem­pla­cer la soli­da­rité par la sen­sa­tion” ?

Sans qu’on en connaisse trop la cause – une sou­daine prise de conscience que l’attaque dont fait l’ob­jet Wiki­Leaks est une attaque du jour­na­lisme ? –, le trai­te­ment média­tique fran­çais de l’affaire Assange s’améliore glo­ba­le­ment – même si cer­tains édi­to­ria­listes conti­nuent de relayer (comme affu­blés d’un toc incu­rable) déni­gre­ments, calom­nies et fausses infor­ma­tions.

En France, mar­di 20 février, à l’appel de nom­breuses orga­ni­sa­tions (dont les Amis du Diplo, Amnes­ty, Attac, LFI, le Mrap, la LDH, le SNJ-CGT), la mobi­li­sa­tion a réuni de cent à huit cents per­sonnes dans dix-neuf villes (dont Bor­deaux, Lille, Mar­seille, Metz, Mont­pel­lier, Mul­house, Nice, Paris, Poi­tiers, Stras­bourg et Tou­louse). Aus­si modeste paraît-elle, cette mobi­li­sa­tion est inédite, pré­cise le Comi­té de sou­tien Assange.

À l’issue des deux jours d’audience qui ont eu lieu les 20 et 21 février en l’absence du “pré­ve­nu” (pour cause de mau­vais état de san­té), la Haute Cour bri­tan­nique ren­dra sa déci­sion cou­rant mars. Selon les avo­cats d’Assange, rap­porte son Comi­té de sou­tien, les juges se sont “mon­trés réel­le­ment atten­tifs, posant des ques­tions per­ti­nentes, qui tran­chaient avec le com­por­te­ment dédai­gneux” qu’ils mon­traient jusque-là — un signe favo­rable…

ur Assange et L’Affaire Wiki­Leaks, lire en ligne :

 

— “Ste­fa­nia Mau­ri­zi : 16 ans à défendre Julian Assange face à sa dia­bo­li­sa­tion” (Blast, février 2024)
— “Assange et la mau­vaise conscience des médias [Let­trIn­fo 24-IV]” (Au jour le jourfévrier 2024)

— “Du bon et du mau­vais usage des fakes news : varia­tion des poids et mesures média­tiques”, Mathias Rey­mond (Au jour le jourfévrier 2024)

— “‘Assange risque la pri­son à vie pour avoir révé­lé la véri­té’, Ste­fa­nia Mau­ri­zi”, pro­pos recueillis par Mar­co Cesa­rio (Elu­cid, février 2024)
— “Un jeu inégal. Pré­face à L’Affaire Wiki­Leaks, Serge Hali­mi (Au jour le jourjan­vier 2024)

— “À l’heure où j’écris ces lignes…’ Avant-pro­pos à L’Affaire Wiki­Leaks, Ken Loach (Au jour le jourjan­vier 2024)
— “Ste­fa­nia Mau­ri­zi : “Si Julian Assange est extra­dé, ce sera sa mort morale et la mort éthique du jour­na­lisme”, pro­pos recueillis par Meriem Lari­bi, Marianne, 24 jan­vier 2024
— “L’Affaire Wiki­Leaks, de Ste­fa­nia Mau­ri­zi, leçons d’in­ves­ti­ga­tion”, France Culture, 20 jan­vier 2024
— “Là où Julian Assange a des amis”, Meriem Lari­bi (Le Monde diplo­ma­tiquefévrier 2023)

Prochaines rencontres :

 

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