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Le grand remplacement idéologique dans le nord des Yvelines

par | 14 juin 2020 | gpseo, Poli­tique

Les barons de la droite Yve­li­noise sont dépas­sés par la vague éco­lo­giste. (DR)

Désor­mais, c’est clair : la droite yve­li­noise, incar­née par le par­ti Les Répu­bli­cains, n’est plus hégé­mo­nique. Ce constat pour­rait s’é­tendre au-delà des com­munes du nord des Yve­lines. Assis­tons-nous à un grand rem­pla­ce­ment idéo­lo­gique ?

Le Jour­nal des deux rives avait annon­cé, bien avant le scru­tin de mars 2020, qu’il pro­vo­que­rait une grande les­sive dans les com­munes qu’il couvre(1). Les résul­tats dans quatre com­munes(2) fai­sant par­tie de notre champ d’ob­ser­va­tion, au sein de la Com­mu­nau­té urbaine Grand Paris Seine & Oise, laissent augu­rer un grand bou­le­ver­se­ment du pay­sage poli­tique local, sur­tout dans le nord des Yve­lines.

L’exa­men des résul­tats du pre­mier tour de ces élec­tions muni­ci­pales, dans plu­sieurs com­munes autour de la Boucle de Chan­te­loup-les-Vignes, donne quelques ensei­gne­ments pré­li­mi­naires : la droite à per­du la main ;  les nou­velles forces struc­tu­relles en jeu sont pro­pul­sées par deux phé­no­mènes conco­mi­tants : le vote « Gilets jaunes » et la volon­té d’un renou­vel­le­ment démo­cra­tique.

La grande les­sive, autour de quatre thèmes

Dans une lec­ture conjonc­tu­relle, le scru­tin de mars 2020 pour­rait faire pen­ser que les élus de droite ou assi­mi­lés (DVD) res­tent pré­do­mi­nante au nord des Yve­lines, notam­ment à Cha­pet, à Chan­te­loup-les-Vignes, à Orgeval, à Médan, à Morain­vil­liers, à Ver­neuil-sur-Seine, à Ver­nouillet et à Villennes-sur-Seine. En effet, aucun can­di­dat se reven­di­quant de la gauche ou de La Répu­blique en Marche ! (LaREM) n’y est sor­ti vain­queur de ce pre­mier tour des élec­tions. De plus, la faible par­ti­ci­pa­tion, en rai­son de la peur du virus Covid-19, a semé la confu­sion dans l’in­ter­pré­ta­tion des résul­tats. Cepen­dant, il est à noter que l’hé­gé­mo­nie de la droite est finie : il n’y aura plus de grand che­lem comme pour les muni­ci­pales de 2014 et les dépar­te­men­tales de 2015. Pour autant, cela ne signi­fie pas une renais­sance de la gauche ; le cas de Conflans-Sainte-Hono­rine révèle que la gauche reste absente, dans sa confi­gu­ra­tion actuelle.

Le par­ti LaREM était consi­dé­ré comme l’Arche de Noé.  La for­ma­tion poli­tique Les Répu­bli­cains a pris la forme d’une super­no­va. Les orphe­lins de la droite yve­li­noise sont désor­mais atti­rés par de nou­velles forces gra­vi­ta­tion­nelles. Quel est l’a­ve­nir des jeunes loups, des vieux bris­cards et des oppor­tu­nistes qui suivent le sens du vent ? Une cer­ti­tude s’im­pose, pro­gres­si­ve­ment, avant le deuxième tour des élec­tions : l’ab­sence d’é­ti­quette ou la mul­ti­pli­ci­té des éti­quettes était le sésame pour les Macron-com­pa­tibles et pour ceux ou celles qui croyaient au retour du vieux cli­vage gauche-droite. Les logos ne suf­fi­saient pas pour être en tête après le tour des élec­tions ; il fal­lait éga­le­ment être en phase avec les attentes, cer­taines nou­velles, de la popu­la­tion.  Le J2R a obser­vé que quatre thèmes ont domi­né le débat dans chaque com­mune(3) : l’ur­ba­ni­sa­tion galo­pante, la sécu­ri­té des biens et de per­sonnes, le déve­lop­pe­ment durable et la proxi­mi­té. En somme, les élec­teurs se sont inter­ro­gés sur les enjeux des poli­tiques publiques ayant trait à l’a­mé­na­ge­ment du ter­ri­toire, à l’ur­ba­nisme et à la four­ni­ture des ser­vices publics. En rai­son de la mul­ti­pli­ci­té des ins­ti­tu­tions ter­ri­to­riales, le levier d’ac­tion des maires s’est réduit ou a dis­pa­ru dans ces quatre prin­ci­paux domaines. Le pro­gramme de chaque liste don­nait l’illu­sion de « pou­voir tout régler », en rai­son de son savoir-faire et de ses « ami­tiés poli­tiques » !

Par consé­quent, ces enjeux, tout par­ti­cu­liè­re­ment celui de l’en­vi­ron­ne­ment, ont per­mis l’é­mer­gence de nou­velles têtes de liste à André­sy, à Triel-sur-Seine, à Ver­neuil-sur-Seine et à Villennes-sur-Seine ; ces can­di­dats affir­maient pou­voir accé­der à la mai­rie, pour faire de la poli­tique autre­ment. Cette volon­té de diverses listes de gérer « autre­ment » leur com­mune était lisible dans tous leurs tracts et leurs pro­grammes. N’é­taient-ce que des astuces pour accé­der au pou­voir ? Ces décla­ra­tions frô­laient par­fois  la déma­go­gie, « mais le jeu vaut la chan­delle », pour­rions-nous dire. Les cas d’An­dré­sy, de Ver­neuil-sur-Seine et de Villennes-sur-Seine illus­trent ce phé­no­mène : presque toutes les listes se vou­laient éco­lo-com­pa­tibles et visaient à gou­ver­ner la com­mune dif­fé­rem­ment. La liste « André­sy éner­gies renou­ve­lées » de Lio­nel Wastl a gagné à la fois par son tra­vail de ter­rain et par l’é­cla­te­ment de la majo­ri­té de droite(4). De même, à Villennes-sur-Seine, aucune liste n’a jugé bon de se reven­di­quer de la droite pure et dure ; le moment était à la bien­veillance mal­gré des coups tor­dus par der­rière. A Ver­neuil-sur-Seine, cinq sur six pré­ten­dants se sont inter­ro­gés sur la per­ti­nence de deux pro­jets d’a­mé­na­ge­ment du ter­ri­toire qui ont sus­ci­té de fortes oppo­si­tions depuis plu­sieurs années : le pro­jet de dévia­tion de la RD 154 et celui de la Pointe de Ver­neuil. Un dis­cours rafraî­chis­sant a rem­pla­cé les cer­ti­tudes de la vieille garde de la droite yve­li­noise. La dévia­tion de RD 154 sera-t-elle mise en cause ? Cer­tains sont prêts à le faire afin de se faire élire.

Le renou­vel­le­ment démo­cra­tique coîn­cide avec une offre nou­velle

Á Triel-sur-Seine, l’at­tente d’un renou­vel­le­ment démo­cra­tique s’est dou­blée d’une offre nou­velle de pré­ten­dants : six listes(5) ayant, toutes, une forte légi­ti­mi­té pour rem­pla­cer des élus, défaillants depuis une décen­nie. Les éti­quettes n’é­taient pas la prio­ri­té puisque seules deux listes en avaient pla­cées sur les docu­ments de cam­pagne : « Triel a du talent » et « Triel à Venir ». Cinq listes sur six affi­chaient une hos­ti­li­té à la poli­tique d’ur­ba­nisme menée par les pou­voirs en place (inter­com­mu­na­li­té, région, Etat). En outre, la ten­ta­tive clas­sique de se faire adou­ber par des « notables » a été contre-pro­duc­tive pour le jeune loup de la Macro­nie, Jonas Mau­ry (17 % des voix expri­mées). En somme, une large majo­ri­té de l’é­lec­to­rat a vou­lu tour­ner la page des années d’im­mo­bi­lisme, mar­quées par une com­plète absence de réflexions sur l’ur­ba­nisme, dans un monde com­plexe où l’on doit se pro­je­ter et pen­ser à long terme.

En paral­lèle, des forces struc­tu­relles ont pris le contrôle de la cam­pagne, sur­tout en jan­vier et février 2020. La peur, l’an­goisse et l’in­cer­ti­tude ont mar­qué la fin de débats, rap­pe­lant deux phé­no­mènes de l’his­toire bou­le­ver­sante de la démo­cra­tie fran­çaise : la lutte de classes et  le mou­ve­ment des Gilets jaunes. Dans le nord des Yve­lines qui a vécu une dés­in­dus­tria­li­sa­tion depuis l’es­sor de la mon­dia­li­sa­tion, notam­ment à Triel, les habi­tants ne sont pas mieux lotis que les  futurs « déclas­sés » des zones rurales de la France pro­fonde.

Rem­pla­ce­ment idéo­lo­gique à venir

Après avoir sui­vi la cam­pagne de près, en extra­po­lant le cas de Triel-sur-Seine, nous pou­vons noter cer­tains faits et avan­cer quelques hypo­thèses. Des élec­teurs ont reven­di­qué et conti­nuent de reven­di­quer un habi­tat, un tra­vail et un cadre de vie en phase avec l’i­déo­lo­gie de com­pé­ti­tion entre les Etats et de concur­rence entre les sala­riés. Or, le double défi de la pol­lu­tion et du chan­ge­ment cli­ma­tique ain­si que les enjeux qui en découlent ont pro­vo­qué, depuis l’é­mer­gence des Gilets jaunes, un sur­saut démo­cra­tique, qui com­mence à se concré­ti­ser à Triel-sur-Seine. Les deux listes en tête (« Triel c’est vous ! » avec 32 % et « Triel Autre­ment » avec 25 %) com­posent une « fausse majo­ri­té idéale », en rup­ture avec la droite yve­li­noise tra­di­tion­nelle. Une évi­dence s’im­pose : Triel n’est plus de droite. Certes, ces deux listes vont se dis­pu­ter la vic­toire au 2e tour mais la messe a été dite  pour les années à venir.  D’une manière emblé­ma­tique, la liste « Triel c’est vous ! » de M. Cédric Aoun a su fédé­rer de pans entiers de la popu­la­tion oubliés par les poli­tiques publiques depuis des années. En outre, ce sont des « petites gens » qui ont un faible salaire et ont per­du la confiance dans les par­tis et les ins­ti­tu­tions. En gros, c’est le « pro­lé­ta­riat » des temps modernes, comme l’ex­plique Emma­nuel Todd dans son der­nier ouvrage Les Luttes de classes en France au XXIe siècle(6). Cette ana­lyse va de pair avec la mort de la gauche en géné­ral et du Par­ti socia­liste en par­ti­cu­lier.

Ce sur­saut a ren­du une fier­té aux citoyens(7), à Triel comme ailleurs ;  il per­met­trait peut-être, dans le nord des Yve­lines, un pro­chain vire­ment idéo­lo­gique à moyen et long termes, en com­men­çant par les élec­teurs. Ceci se tra­dui­rait, plus tard, par un rem­pla­ce­ment idéo­lo­gique au sein des édiles des com­munes de ce ter­ri­toire. Des chan­ge­ments des dis­cours de Pierre Bédier en sont les pré­misses : il veut désor­mais une poli­tique plus éco­lo­gique dans la Seine Aval.

Est-ce un effet de mode ou un rem­pla­ce­ment idéo­lo­gique à long terme ? Suite à la crise sani­taire sans pré­cé­dent à l’échelle mon­diale, cette évo­lu­tion pour­rait deve­nir une réa­li­té car le défi mon­dial se gagne­ra par des poli­tiques locales tenant compte des défis mon­diaux ; nos com­munes pour­raient être exem­plaires dans cette tran­si­tion éco­lo­gique.

Notes 

1. https://www.journal-deux-rives.com/2019/07/17/debuts-de-campagne-a-triel-une-grande-lessive-sannonce/

2.  André­sy, Triel-sur-Seine, Ver­neuil-sur-Seine et Villennes. Nous excluons de notre ana­lyse les villes de Pois­sy, Conflans-Sainte-Hono­rine et Les Mureaux car elles obéissent à des autres logiques telles que le cha­risme à Pois­sy, la lon­gé­vi­té aux Mureaux et le renou­vel­le­ment poli­tique à Conflans-Sainte-Hono­rine. En outre, le poids démo­gra­phique de ces villes peut biai­ser l’a­na­lyse ci-des­sus.

3. https://www.journal-deux-rives.com/actu/09190-municipales-quelles-sont-grands-themes-abordees-candidats

4. « Osons André­sy » qui se reven­dique de la ten­dance bédie­riste, « André­sy Dyna­mique » qui se veut plus proche de Valé­rie Pécresse, « 100 % André­sy » de M. Fer­ret­ti et « Mon par­ti André­sy » de Denis Faist.

5. « Réagir pour Triel » (LDIV), « Triel a du talent » (LREM), « Triel à Venir » (LECO), « Triel c’est vous ! » (LDIV), « Triel Renou­veau » (LDVD) et « Triel Autre­ment » (LDIV)

6. Les Luttes de classes en France au XXIe siècle, Emma­nuel Todd, Paris, Seuil, 2020

7. Cer­tains ont qua­li­fié « popu­listes » les votes pour la liste « Triel c’est vous ! ». Etre popu­liste serait-il non conci­liable avec la démo­cra­tie locale ? Comme cha­cune des autres listes, celle de M. Aoun com­prend des per­sonnes qui ne veulent pas de construc­tions nou­velles mais demandent plus de ser­vices en fonc­tion des impôts payés.

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