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Alain Rey : « La langue française a un message universel »

par | 28 octo­bre 2020 | Cul­ture, Société

Le lex­i­co­logue Alain Rey avait ren­con­tré la rédac­tion du J2R en 2010 lors du col­loque inter­na­tion­al “Dic­tio­n­naires et fran­coph­o­nies” à l’U­ni­ver­sité de Cer­gy-Pon­toise. (DR)

Dans le cadre du col­loque inter­na­tion­al « Dic­tio­n­naires et fran­coph­o­nie » à l’Université de Cer­gy-Pon­toise, le 26 mars, nous avions inter­viewé Alain Rey, auteur de Mille ans de langue française, his­toire d’une pas­sion (Ed. Per­rin, 2007) et lin­guiste recon­nu bien au delà de nos fron­tières. Voici ce doc­u­ment des archives du J2R.

Rodri­go Acos­ta : Quel est le sens de la thé­ma­tique de ce col­loque inter­na­tion­al à Cergy ?

Alain Rey : C’est très impor­tant de s’interroger sur le statut de la langue française car ce sujet, comme d’autres tels l’Etat, la nation, la psy­cholo­gie col­lec­tive, a été mal abor­dé. En effet, la prob­lé­ma­tique inter­fère avec des sujets évo­qués mal abor­dés jusqu’ici, selon moi. Prenons l’exemple de la manière dont la langue française inter­ag­it avec d’autres langues : toutes les langues devraient ten­dre vers des idées uni­verselles pour assur­er un véri­ta­ble human­isme. Il est donc néces­saire que chaque langue, avec sa spé­ci­ficité et ses qual­ités, agisse pour une com­préhen­sion de l’ensemble des prob­lèmes humains.

Dans l’Histoire, ce phénomène a été vécu d’une manière vari­able : dans la Grèce de l’Antiquité, où les gens réfléchirent pour forg­er la philoso­phie comme sci­ence, tout ce qui n’était pas hel­lénique était con­sid­éré comme « bar­bare ». C’était une mau­vaise atti­tude. Aujourd’hui, on est con­traint de penser en ter­mes uni­versels à tra­vers la mul­ti­plic­ité des langues. Il existe le mythe biblique de la Tour de Babel mais de nom­breuses langues dans le monde peu­vent se traduire facile­ment et de nom­breux témoins (bilingue, trilingue ou pluri­langue), dans une langue ou un autre, choi­sis­sent de s’exprimer et de com­mu­ni­quer sur des con­cepts et des principes universels.

Je crois beau­coup aux ver­tus du bilin­guisme. Il faut accepter l’idée qu’une langue n’est pas la pro­priété d’un peu­ple. Une langue n’est pas réservée à un pays ou à un Etat. La langue traduit une cer­taine vision du monde et cette vision peut être partagée : c’est le cas de la langue anglaise, de la langue espag­nole et du français.

Chaque langue a une lit­téra­ture, une his­toire, une expres­sion col­lec­tive. Toutes les langues, même celles par­lées par dix per­son­nes, sont aus­si mag­nifiques, mais cette dernière est vouée à reculer ou à dis­paraître si elle ne s’étend pas.

Dans le cas du français, et notam­ment par rap­port à ce col­loque inter­na­tion­al, par­ler d’une langue en péril (parce qu’elle est par­lée moins que l’anglais par exem­ple) me paraît une très mau­vaise façon d’aborder la ques­tion. La ques­tion est de savoir si le français garde des atouts et surtout des ver­tus. Enfin, la langue française est capa­ble d’exprimer des idées uni­verselles. Pré­cisé­ment, comme beau­coup d’écrivains et de penseurs, choi­sis­sent le français à un moment ou à un autre de leur car­rière, cela prou­ve que le français a des pos­si­bil­ités d’expression et de com­mu­ni­ca­tion. Le français s’inscrit dans l’histoire de la lit­téra­ture… La langue française a les capac­ités d’être apprise, maîtrisée et employée de manière human­iste, c’est-à-dire universelle.

R.A. : Quel est le rôle des mots face à cette vague, voire ce tsuna­mi d’images qui nous envahissent quotidiennement ?

A.R. : Depuis la pré-his­toire, on con­naît le rôle sym­bol­ique de l’image. Puis, cette dernière est dev­enue plus uni­verselle lorsque la repro­duc­tion a été ren­due pos­si­ble grâce à la révo­lu­tion indus­trielle du XIXe siè­cle. Avec la révo­lu­tion tech­nologique de nos jours (Inter­net, l’animation des images…), l’image vivante est dev­enue fon­da­men­tale mais il faut se rap­pel­er un point très impor­tant : l’image représente un aspect de la réal­ité, une par­tie, un par­tic­u­lar­isme, du phénomène de la réal­ité. Alors que le mot est capa­ble d’aller vers l’universel par le con­cept. Et si l’on a une image d’un chanteur, elle ne vous n’explique rien sur la nature du mot chanteur par rap­port à un type de chanteur, slameur, humoriste, un jazzman…

R.A. :  Selon vous, y a‑t-il un avenir pour les mots ?

A.R.- : Effec­tive­ment, il y a un avenir oblig­a­toire pour les mots car on ne peut pas imag­in­er une human­ité muette entourée d’images… Cela serait un recul con­sid­érable à un état qua­si­ment bes­tial. Parce qu’on aurait accès unique­ment aux phénomènes et on n’aurait aucun moyen de les penser et de les met­tre en rap­port entre eux. Faire com­mu­ni­quer des phénomènes, des images est pos­si­ble avec des mots. Une image sans mots n’est pas une image com­plète. On con­state, à la Télé, sur inter­net… qu’une image n’est pas com­plète que si elle est accom­pa­g­née de com­men­taires, de dialogues…

Imag­i­nons un dic­tio­n­naire avec des images unique­ment ; on ne saura pas les met­tre en rela­tion entre elles… Ce n’est pas envis­age­able. Au moins que l’on regarde unique­ment pour le plaisir de les regarder. L’image est dans un univers qui est com­pa­ra­ble à celui de la musique : on ne peut l’expliquer que par les mots. Tout passe par le langage !

R.A. : Quel est le sens de votre démarche d’écrivain, de penseur ici dans un milieu uni­ver­si­taire ? Etes-vous un passeur de mots pour les généra­tions futures ?

A.R. : Il faut don­ner une idée réelle des prob­lèmes de la langue. Dans le cas d’espèce du français, il faut pass­er par un pub­lic plus large et plus jeune qui réflé­chit con­stam­ment. Où sont ces jeunes qui réfléchissent ? Dans les grandes écoles et dans les uni­ver­sités. J’ai fait de l’enseignement avant et j’ai été con­vié à don­ner des con­férences comme pro­fesseur invité aux Etats-Unis et au Cana­da. La trans­mis­sion de con­nais­sances et de savoirs doit être soutenue par des insti­tu­tions. Il existe une fil­ière uni­ver­si­taire, des grandes écoles. Là où ces étab­lisse­ments se por­tent bien, il est clair que le savoir passe et se dif­fuse chez les gens qui ont moins de vingt-deux ans. Le savoir de l’avenir sera pen­sé par des jeunes entre dix-huit et vingt-deux ans et non pas par ceux, comme moi, qui sont très vieux !

R.A.- : Après treize ans de France Inter, com­ment vous occupez-vous?

A.R. : Par­fois, je fais des chroniques, pas régulière­ment. Vous pou­vez me trou­ver sur quelques sites qui repassent mes chroniques. Cepen­dant, on peut me lire car je con­tin­ue à écrire : je préfère m’exprimer par l’écrit car cela reste plus longtemps. Comme dit le vieux dic­ton : « Les paroles volent et les écrits restent ! »

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